Comment fabrique-t-on les médicaments ? Quelles sont les grandes étapes pour passer d’une simple idée à un comprimé qui sauvera des vies ? Et par la même occasion, pourquoi ça prend autant de temps ?
Cette semaine, nous avons rendez-vous avec l’enseignant-chercheur Nicolas Willand pour découvrir les coulisses de la recherche pharmaceutique et pour parler d’un enjeu sanitaire de plus en plus important : l’antibiorésistance, avec des traitements qui fonctionnaient hier mais risquent d’être obsolètes demain. L’ antibiorésistance est un phénomène de résistance aux antibiotiques qui menace la santé mondiale.
Qu’est-ce que l’antibiorésistance ?
L’antibiorésistance est un phénomène de résistance bactérienne qui se produit lorsque des bactéries deviennent résistantes à un ou plusieurs antibiotiques, rendant ainsi les traitements antibiotiques inefficaces. Cette inefficacité du traitement antibiotique sur l’infection bactérienne ciblée est une menace majeure pour la santé publique.
L’utilisation, souvent excessive ou inappropriée, des antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire a créé une pression de sélection qui favorise la survie et la prolifération des bactéries résistantes. Ces micro-organismes s’adaptent et développent des mécanismes de résistance pour survivre à la substance antibiotique. Leurs gènes de résistance se transmettent ensuite à d’autres bactéries, même d’espèces différentes, à travers des mutations de leur génome ou via des plasmides. On parle alors de résistance acquise.
Un exemple frappant est la tuberculose, première cause de mortalité par maladie infectieuse dans le monde. Les bactéries responsables de la maladie, les bacilles Mycobacterium tuberculosis, ont développé des résistances aux antibiotiques existants, conduisant à des impasses thérapeutiques.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère l’antibiorésistance comme l’une des plus graves menaces pour la santé mondiale, avec des projections alarmantes de mortalité à l’horizon 2050, potentiellement devant le cancer.
La recherche au service de la lutte contre l’antibiorésistance
Le combat contre les bactéries multirésistantes est une mission historique de l’Institut Pasteur de Lille. Les travaux menés dans nos laboratoires, à l’image de ceux de Nicolas Willand sur la tuberculose, visent à identifier et à développer de nouvelles molécules capables de contrer l’antibiorésistance.
Le processus de création d’un nouvel antibiotique est long et complexe. Il s’agit de designer des médicaments à l’échelle moléculaire pour trouver la “bonne clé” qui va se lier spécifiquement à une protéine essentielle de la bactérie pathogène et ainsi l’empêcher de se développer. C’est ce qu’on appelle la conception de médicaments.
Par exemple, une approche innovante étudiée par les chercheurs de l’Institut Pasteur de Lille, et qui a fait l’objet de publications scientifiques, est le développement de boosters. Ces molécules ne sont pas des antibiotiques en tant que tels mais elles permettent de restaurer l’efficacité des antibiotiques existants face aux souches résistantes. L’objectif est de rendre la bactérie résistante à nouveau sensible à un antibiotique qu’elle avait appris à contrer.
Pour accélérer la recherche, nos scientifiques utilisent des technologies de pointe comme le criblage à haut débit, qui permet de tester l’activité de dizaines de milliers de molécules sur les bactéries. Les projets de recherche, comme le projet Mustart coordonné par l’Institut, regroupent plusieurs équipes pour une approche pluridisciplinaire, du laboratoire au chevet du patient, afin de trouver des solutions durables pour la lutte contre l’antibiorésistance.
Quelles pistes thérapeutiques face à l’antibiorésistance ?
L’antibiorésistance nous force à explorer de nouvelles pistes thérapeutiques. Les chercheurs de l’Institut Pasteur de Lille travaillent à la fois sur l’optimisation des antibiotiques existants et sur le développement de nouvelles molécules pour lutter contre les bactéries pathogènes.
Outre les boosters, les scientifiques explorent également des alternatives, comme les bactériophages. Ce sont des virus qui infectent et tuent les bactéries de manière ciblée, sans affecter les cellules humaines. Cette approche est prometteuse pour cibler spécifiquement les bactéries multirésistantes sans altérer le microbiote ou provoquer d’effets secondaires indésirables.
La recherche s’oriente aussi vers des méthodes pour empêcher l’apparition des résistances. L’objectif est de développer des traitements qui perturbent les mécanismes de résistance ou de trouver des nouvelles molécules qui n’agissent pas de la même manière que les classes d’antibiotiques actuelles.
Malgré ces avancées, l’impasse thérapeutique reste une réalité pour certaines infections nosocomiales ou infections urinaires par exemple. C’est pourquoi la recherche fondamentale, qui vise à mieux comprendre les mécanismes de résistance, est plus que jamais nécessaire.
Pour en savoir plus, découvrez notre dossier complet sur les maladies infectieuses émergentes et l’antibiorésistance.
Votre soutien peut faire la différence
L’antibiorésistance est un défi de taille qui nécessite des investissements massifs dans la recherche. Comme le souligne Nicolas Willand, le modèle économique pour le développement de nouveaux antibiotiques est précaire : ces traitements sont souvent utilisés sur une courte durée et ne sont conservés qu’en cas d’échec des antibiotiques existants, ce qui rend le retour sur investissement incertain pour les entreprises pharmaceutiques.
Face à cette réalité, le soutien public et les dons des particuliers et des entreprises deviennent essentiels. C’est grâce à ce financement que des instituts de recherche comme l’Institut Pasteur de Lille peuvent poursuivre leurs travaux, du laboratoire à l’essai clinique, pour trouver les solutions de demain et éviter une crise sanitaire majeure.
Soutenir la recherche, c’est investir pour notre avenir et celui de la santé mondiale. C’est donner aux chercheurs les moyens de trouver de nouvelles molécules, de comprendre la résistance des bactéries et de développer des traitements efficaces pour les générations futures.