Depuis le début de l’épidémie, environ 88,4 millions de personnes ont contracté le VIH et environ 42,3 millions de personnes sont mortes de maladies liées au sida. 34 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde et, en France, on déplore encore plus de 6000 nouvelles contaminations par an. Malgré des traitements et une prise en charge constamment améliorés, le sida reste un fléau qui affecte tout particulièrement les pays et les populations les plus démunis. La recherche demeure indispensable. A l’Institut Pasteur de Lille, l’équipe dirigée par le Dr Fernando Real est spécialisée dans l’étude de la chronicité des infections virales, avec un focus particulier sur le VIH. Le positionnement central de l’équipe est de viser l’éradication complète du virus, se distinguant ainsi de l’approche prédominante dans la recherche actuelle, qui se concentre largement sur le contrôle de l’infection par des thérapies de longue durée. La principale barrière à l’éradication est l’existence de réservoirs viraux, des cellules où le virus se cache et persiste malgré les traitements. Pour surmonter cet obstacle, l’unité développe deux axes de recherche majeurs et complémentaires. Ces projets s’inscrivent dans un écosystème de collaborations internes et externes et préfigurent une vision élargie de l’unité, qui ambitionne d’appliquer les concepts de persistance virale à d’autres agents pathogènes comme le SARS-CoV-2 ou les virus de l’hépatite.

Aurélie Tasiemski en pleine manipulation

Rencontre avec le Dr Fernando Real, responsable de léquipe “Chronicité des Infections Virales [CVI]” au sein du Centre d’Infection et d’Immunité de Lille.

 

Quel est le débat stratégique principal qui encadre la recherche sur le VIH aujourd’hui, et quelle position votre équipe de recherche adopte-t-elle ?

Fernando Real (FR) : Le débat actuel en recherche sur le VIH porte principalement sur les stratégies de “contrôle” du virus, qui vise à maîtriser sa propagation avec des médicaments comme la PrEP (prophylaxie pré-exposition), et sur les approches visant la “guérison complète” ou l'”éradication”. Notre équipe de recherche s’intéresse particulièrement aux avancées dans le domaine de l’éradication, tout en reconnaissant que le contrôle, bien qu’utile, ne doit pas remplacer l’objectif ultime de la guérison.

Quelle est la problématique majeure qui empêche la guérison complète du VIH chez les patients sous traitement ?

FR : L’obstacle à la guérison réside dans l’existence de “réservoirs” viraux. Il s’agit de cellules dans lesquelles le virus se cache à l’état dormant, le protégeant ainsi des thérapies antirétrovirales. Si le traitement est arrêté, le virus “rebondit” à partir de ces réservoirs.

Quels sont vos axes de recherche pour comprendre la persistance du virus ?

FR : Il est primordial d’identifier où se cache le réservoir viral. L’hypothèse principale de l’équipe est que la moelle osseuse constitue l’une des cachettes principales du virus. Bien que quelques cas exceptionnels de patients ayant reçu une greffe de moelle osseuse aient abouti à une guérison du VIH, la majorité des personnes traitées par cette méthode voient le virus réapparaître après l’arrêt du traitement antirétroviral. Cela suggère que le réservoir viral n’est pas totalement éliminé, et la moelle osseuse demeure un candidat possible comme site de persistance du virus. Pour étudier le réservoir viral dans la moelle osseuse, nous développons des organoïdes de moelle osseuse, c’est-à-dire des “petites boules” de tissu médullaire créées in vitro. Cette technologie est nécessaire car l’accès à la moelle osseuse chez les patients est une procédure très invasive et difficile, ce qui limite les possibilités de recherche directe.

Notre second axe de recherche est le ciblage (« Targeting ») des réservoirs viraux, en particulier ceux qui circulent dans le sang au niveau les lymphocytes circulants. Nous explorons des stratégies innovantes fondées sur l’utilisation de nanoparticules biomimétiques recouvertes de membranes cellulaires qui servent de vecteurs pour le relargage contrôlé d’antirétroviraux directement au cœur des cellules réservoirs. Cette stratégie s’inscrit dans le cadre des approches dites « Shock and Kill » pour éliminer les réservoirs.

Pour étudier le réservoir viral dans la moelle osseuse, nous développons des organoïdes de moelle osseuse, c’est-à-dire des “petites boules” de tissu médullaire créées in vitro. Cette technologie est nécessaire car l’accès à la moelle osseuse chez les patients est une procédure très invasive et difficile, ce qui limite les possibilités de recherche directe.

Dr Fernando Real

Pouvez-vous nous décrivez brièvement la stratégie thérapeutique connue sous le nom de « Shock and Kill » ?

FR : Cette stratégie vise à réactiver le virus dormant (« Shock ») dans les cellules réservoirs pour qu’il s’exprime à la surface. Une fois le virus visible, le système immunitaire peut alors reconnaître et détruire (« Kill ») la cellule infectée.

Quelle est le composant innovateur de l’approche développé par votre équipe envisageant cibler les cellules réservoirs circulant dans le sang ?

FR : L’équipe utilise la membrane des plaquettes sanguines comme un véhicule pour encapsuler et transporter un agent connu de réactivation du réservoir. Cette approche profite de l’interaction naturelle entre les plaquettes et les lymphocytes (principaux réservoirs) pour délivrer le médicament de manière ciblée, tout en le protégeant d’une dégradation rapide, promouvant le « Shock ».

Pour être complet et terminer sur un mot de prévention, pouvez-vous nous rappeler l’objectif des traitements comme la PrEP et les antirétroviraux à longue durée d’action ?

FR : Ces traitements poursuivent des objectifs complémentaires mais distincts dans la lutte contre le VIH. Ils sont des stratégies de “contrôle”. La PrEP est un traitement préventif destiné aux personnes séronégatives, prise avant une exposition potentielle au virus et capable d’empêcher l’infection, jouant ainsi un rôle majeur de prévention et réduction des nouvelles transmissions. Les antirétroviraux à longue durée d’action sont conçus pour les personnes déjà infectées. Ils permettent de contrôler la réplication virale pour plus longtemps et avec moins de prises, ce qui facilite l’observance du traitement tout en limitant la progression de l’infection. Ceux sont des stratégies qui n’éradiquent pas le virus, ni ne guérissent les patients.