Chercheur CNRS à l’Institut Pasteur de Lille, et ancien post-doctorant aux prestigieux National Institutes of Health (NIH, États-Unis), le Dr Sébastien Bontemps-Gallo a consacré son post-doc à l’étude de Borrelia burgdorferi, la bactérie responsable de la maladie de Lyme. À l’intersection entre écologie, microbiologie et santé publique, elle représente un vrai défi pour les chercheurs. Sébastien nous éclaire sur cette zoonose complexe, les stratégies d’adaptation étonnantes de la bactérie, le rôle des tiques, les priorités de recherche actuelles… et les leçons écologiques à tirer pour mieux prévenir.

Dr Sébastien Bontemps-Gallo

Le Dr Sébastien Bontemps-Gallo, chercheur CNRS à l’Institut Pasteur de Lille au sein de l’équipe “Peste et Yersinia pestis” au Centre d’Infection et d’Immunité de Lille

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Sébastien Bontemps-Gallo (SBG) : Je suis chercheur au CNRS et je travaille actuellement à l’Institut Pasteur de Lille, au Centre d’Infection et d’Immunité de Lille. Mon parcours m’a conduit à réaliser un post-doctorat aux États-Unis, sur le campus des Rocky Mountain Laboratories (NIH, Montana, USA), où j’ai eu l’opportunité de travailler sur des modèles infectieux complexes, notamment ceux impliquant des vecteurs comme les tiques et les puces. Durant ces années de recherche, j’ai approfondi ma compréhension de l’interaction entre les bactéries pathogènes et leurs hôtes, en me concentrant particulièrement sur la façon dont ces micro-organismes perçoivent et réagissent aux signaux environnementaux pour ajuster leurs mécanismes d’infection. Ma passion pour ces stratégies adaptatives des agents pathogènes m’a guidé tout au long de mon parcours, me poussant à explorer des voies innovantes pour mieux comprendre les infections zoonotiques, comme celles transmises par les tiques, et trouver des solutions aux défis de santé publique qu’elles représentent.

Vous avez travaillé sur Borrelia burgdorferi, la bactérie responsable de la maladie de Lyme, lors de votre post-doctorat. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la maladie de Lyme, et en quoi la tique joue un rôle central dans sa transmission ?

SBG : La maladie de Lyme est une zoonose transmise à l’homme par piqûre de tique du genre Ixodes. Ces arthropodes hématophages se nourrissent de sang à différents stades de leur développement. Lors d’un repas sanguin sur un hôte infecté, comme un petit rongeur, elles peuvent acquérir la bactérie Borrelia burgdorferi, qui colonise alors leur tube digestif. C’est lors du repas suivant, que la tique pourra transmettre le pathogène à un nouvel hôte.

Ce qui est intéressant, c’est que la bactérie ne se contente pas d’attendre. Elle perçoit très tôt des signaux — comme le changement de température ou l’apport de sang frais dans le tube digestif — qui lui indiquent qu’un repas est en cours. C’est à ce moment-là qu’elle commence à se préparer activement à la transmission. Elle migre vers les glandes salivaires de la tique et devient apte à infecter le futur hôte, c’est-à-dire le mammifère piqué.

La transmission est d’autant plus efficace que la salive de la tique contient tout un cocktail de molécules anti-inflammatoires, anesthésiantes et immunomodulatrices. Ces molécules masquent complètement la présence de la tique : l’hôte ne ressent rien, ne se défend pas. C’est un camouflage biologique redoutablement efficace, dont profite la bactérie.

Ce qui m’a immédiatement fasciné chez Borrelia burgdorferi, c’est sa capacité unique à naviguer d’un environnement à un autre de manière extrêmement fine et contrôlée.

Dr Sébastien Bontemps-Gallo

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce pathogène en particulier ?

SBG : Ce qui m’a immédiatement fasciné chez Borrelia burgdorferi, c’est sa capacité unique à naviguer d’un environnement à un autre de manière extrêmement fine et contrôlée. Cette bactérie vit dans la tique pendant une période prolongée, sans accès à des nutriments, puis, en l’espace de quelques heures seulement, se « prépare » pour coloniser un nouvel hôte. Ce qui est encore plus impressionnant, c’est la capacité de Borrelia à le faire sans se faire repérer, ou presque. Elle a développé des stratégies moléculaires exceptionnelles pour échapper à la détection de son hôte. Comprendre cette capacité d’adaptation, c’est aussi une manière de découvrir de nouvelles failles pour mieux la détecter, la combattre.

Tique du genre Ixodes, vecteur principal de la maladie de Lyme
CC BY-SA 4.0 (W. Alter, Ixodes ricinus)
Quels étaient les grands axes de vos recherches sur cette bactérie, et qu’avez-vous découvert ?

SBG : Mes recherches ont porté sur la manière dont Borrelia burgdorferi perçoit et s’adapte à son environnement, en particulier à travers un signal clé : l’osmolarité, c’est-à-dire la concentration en particule comme le sel. Lorsque la tique digère un repas de sang, cette osmolarité augmente fortement (autour de 500-600 milliosmolaire (mOsm)). La bactérie détecte cette hausse comme un signal qu’elle va devoir rester longtemps dans le tube digestif, sans nutriments. Elle se prépare à survivre dans ces conditions hostiles.

En revanche, lorsqu’un nouveau repas de sang est ingéré, l’osmolarité chute autour de 300 mOsm, une valeur typique du sang de mammifère. Cette variation est perçue par la bactérie comme un signal qu’il est temps de migrer vers les glandes salivaires afin d’être transmise à un hôte. J’ai pu analyser les mécanismes moléculaires qui permettent à Borrelia burgdorferi de s’adapter à cette réponse environnementale, et identifier les gènes responsables de cette adaptation.

En parallèle, j’ai aussi mené une étude comparative entre différentes souches de Borrelia burgdorferi. Il faut savoir qu’il y a différentes espèces dans le complexe Borrelia burgdorferi sensu lato (au sens large), qui conduisent à des manifestations cliniques différentes. J’ai donc étudié : la souche américaine de référence (B. burgdorferi sensu stricto), une souche française (B. garinii) et une autre allemande (B. afzelii). Nous avons comparé leurs génomes, leurs capacités à survivre à différentes conditions (comme l’osmolarité ou la température). Ces travaux ont permis de mieux caractériser les spécificités des souches européennes, qui sont plus diverses et moins bien étudiées que la souche américaine.

Depuis vos travaux, comment la recherche sur la maladie de Lyme a-t-elle évolué ? Et quels seraient aujourd’hui les axes prioritaires à soutenir, notamment à la lumière du récent engagement de l’État en faveur de cette recherche ?

SBG : La recherche sur la maladie de Lyme a connu des avancées notables, mais de nombreux défis subsistent. Le diagnostic de la maladie de Lyme demeure un défi majeur, notamment car les tests actuels, développés sur la souche B. burgdorferi sensu stricto, peuvent manquer de sensibilité sur des espèces circulant en Europe.

Après un premier plan de lutte contre la maladie de Lyme en 2016, le parlement a voté en 2023 une enveloppe de 10 millions d’euros pour la recherche sur la maladie de Lyme. Il est essentiel d’améliorer la prise en charge, la prévention et le traitement de la maladie.

Selon vous, que peut-on faire pour mieux prévenir cette maladie et améliorer la sensibilisation du public ?

SBG : La sensibilisation du public joue un rôle clé. Beaucoup de gens ne savent pas que les tiques sont actives dès les premiers beaux jours, ou qu’une piqûre peut passer totalement inaperçue. Il est donc essentiel de renforcer les messages de prévention, dans les zones urbaines, suburbaines et rurales. Le port de vêtements couvrants les bras et les jambes, et l’inspection systématique après une balade en forêt sont des gestes simples mais efficaces.

Mais la prévention ne peut pas se limiter à des recommandations individuelles. L’écologie des tiques est aussi influencée par des facteurs environnementaux, voir politiques. On sait, par exemple, que la campagne de dérenardisation menée pour lutter contre l’échinococcose a eu un effet inattendu : en réduisant les populations de renards, on a favorisé une explosion des rongeurs, qui sont les réservoirs de la bactérie et les hôtes principaux des tiques. Résultat : moins de prédateur, plus de rongeurs infectés, plus de tiques infectées, plus de risques pour l’homme. Ce type d’exemple montre à quel point les dynamiques écologiques sont complexes et doivent être prises en compte dans les stratégies de prévention.

Enfin, il serait intéressant de poursuivre les campagnes sur le terrain d’identification des tiques, afin de mieux cibler les campagnes de sensibilisation. Certaines régions sont plus touchées que d’autres, et les données manquent parfois pour adapter efficacement les campagnes d’information au contexte local.

Borrelia burgdorferi, bactérie responsable de la maladie de Lyme, vue au microscope
CC BY 4.0 (Jacob Lemieux,  Microscopie dark-field de Borrelia burgdorferi)
Aujourd’hui, vous travaillez sur d’autres bactéries pathogènes. Qu’est-ce qui guide vos choix de recherche ?

SBG : Je poursuis cette idée de mieux comprendre l’environnement tel qu’il est perçu par les bactéries. Mon objectif est : comprendre comment une bactérie “sait” où elle se trouve, et comment elle adapte son programme génétique en réponse aux signaux qu’elle perçoit — qu’il s’agisse de température, de nutriments ou de l’osmolarité. Ces mécanismes sont partagés par de nombreuses bactéries pathogènes, et cela ouvre des pistes pour développer de nouveaux traitements ou des mesures prophylactiques.

Aujourd’hui, je travaille principalement sur Yersinia pestis, l’agent de la peste, et sur son vecteur, la puce. Ces travaux sont permis par le développement d’infrastructures uniques en Europe par le Dr Florent Sebbane, responsable de l’équipe « Peste et Yersinia pestis », ici à l’Institut Pasteur de Lille.

POUR EN SAVOIR PLUS