L’Agence européenne des médicaments (EMA) a approuvé jeudi 14 novembre 2024, pour certains patients, un traitement très attendu destiné à réduire le déclin cognitif des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, après l’avoir initialement bloqué en juillet. Le point avec le Dr Jean-Charles Lambert, Directeur de recherche INSERM sur la maladie d’Alzheimer à l’Institut Pasteur de Lille.

Dr Jean-Charles Lambert, Directeur de recherche INSERM

A qui s’adresse ce nouveau traitement ?

Le traitement, commercialisé sous le nom de Leqembi, est désormais recommandé par l’Agence européenne des médicaments pour des patients n’ayant pas encore atteint un stade avancé de la maladie. Après avoir réexaminé son avis initial, l’EMA a recommandé d’accorder une autorisation de mise sur le marché du Leqembi (également connu sous le nom de Lecanemab) pour le traitement des troubles cognitifs légers (troubles de la mémoire et de la pensée) ou de la démence légère dus à la maladie d’Alzheimer au stade précoce, et ce que pour certains groupes de patients seulement.

En juillet, l’EMA s’était prononcée contre la mise sur le marché du Leqembi dans l’UE, estimant que l’effet observé du traitement ne contrebalançait pas le risque d’effets secondaires graves, dont des saignements potentiels dans le cerveau.

« L’agence européenne du médicament est revenue sur sa décision car elle considère que si on ne donne pas ce traitement à la population la plus à risque de développer des effets secondaires graves (c’est-à-dire les individus porteurs du génotype e4/e4), il existe un bénéfice potentiel excédant le risque de ces effets secondaires. Il n’empêche que ce bénéfice est très limité et toujours contesté. Il s’agit néanmoins d’un signal positif pour les patients » commente le Dr Jean-Charles Lambert, Directeur de recherche INSERM sur la maladie d’Alzheimer à l’Institut Pasteur de Lille.

Pour aller plus loin : “Symptômes d’Alzheimer : mieux comprendre cette maladie”

Les débuts des immunothérapies pour traiter la maladie : entre espoirs et controverses

Le Leqembi est un anticorps monoclonal(1)qui agit par immunisation passive(2), conçu pour cibler les plaques amyloïdes dans le cerveau.

« La recherche sur la maladie d’Alzheimer a vraiment commencé dans les années 1980 » explique le Dr Lambert. « La maladie est caractérisée par deux types de lésions principales : les dépôts amyloïdes extracellulaires et la dégénérescence neurofibrillaire intraneuronale. C’est durant cette décennie qu’ont été identifiés les composants principaux de ces lésions, respectivement les peptides amyloïdes et la protéine Tau. Une grande partie des approches thérapeutiques développées jusqu’au milieu des années 2010 ont donc cherché à contrôler la production et le niveau des peptides amyloïdes dans le tissu cérébral. C’est là qu’apparait le concept d’immunothérapie avec l’idée de favoriser la dégradation des peptides amyloïdes par le système immunitaire. Rapidement un essai thérapeutique a été lancé avec cette approche d’immunisation active mais il a été très rapidement arrêté à la suite d’un décès et des encéphalite graves. Cependant, des autopsies ont confirmé plus tard que les patients qui avaient été vaccinés présentaient une diminution drastique de la quantité de plaques amyloïdes dans leurs cerveaux. Le concept fonctionnait donc, mais l’approche n’était pas correcte. Il a alors été développé des thérapies basées sur une immunisation passive avec le développement d’anticorps dirigés contre des peptides amyloïdes. Cela a pris du temps et évidemment, la prudence était de mise avant de basculer vers un essai thérapeutique ».

Recherche sur la maladie d'Alzheimer à l'Institut Pasteur de Lille

En 2022, les premiers résultats positifs pour un essai thérapeutique portant sur une immunothérapie contre les peptides amyloïdes sont publiés. « Ce premier résultat a été suivi par deux autres essais positifs, suscitant une grande vague d’espoir et un intense lobbying tout à fait compréhensible des associations de malades a eu lieu pour que ces traitements soient autorisés sur le marché. Ceci a été fait aux USA, Royaume-Uni, Chine et Japon. » commente Jean-Charles Lambert. » 

Toujours selon le Dr. Jean-Charles Lambert, ces traitements ont été très rapidement controversés pour plusieurs raisons :

  • Un déclin plus lent chez les patients traités statiquement significatif mais sans réel retentissement clinique. D’ailleurs, les traitements symptomatiques déjà disponibles (mais déremboursés en France) font tout aussi bien en moyenne ;
  • Des effets secondaires importants voire mortels avec actuellement 18 décès imputés à ces traitements 
  • Un cout prohibitif qui le rend incompatible avec nos systèmes de sécurité sociale et qui pose donc une question d’accessibilité et d’éthique ;
  • Une structure d’accompagnement importante en raison des effets secondaires et donc un cout indirect impactant ;
  • La nécessité de donner ce traitement le plus précocement possible ce qui accentue la question du coût bénéfice/risque. En effet, le processus pathophysiologique de la MA s’étale sur des décennies et il est supposé important de bloquer ce processus le plus tôt possible. C’est probablement pour toutes ces raisons que l’agende européenne du médicament avant refusé jusqu’à présent la mise sur le marché de ces traitements dans l’attente d’information et de suivis supplémentaires.

Des traitements à l’efficacité limitée ?

Pourquoi ces traitements ne semblent-ils pas si bien marcher ? « En fait, la première raison est assez simple. L’hypothèse de la cascade amyloïde(3) a été développée à partir de formes monogéniques(4) de la maladie d’Alzheimer. Cependant ces formes précoces (aux alentours de 45 ans en moyenne) représentent moins de 1% des cas. La plupart des patients atteints de MA sont âgés de plus de 75 ans et sont définis comme sporadiques, résultant de l’interaction de facteurs environnementaux et génétiques ». Était-il naïf de penser qu’on pouvait extrapoler à partir de formes rares et particulières, des mécanismes généralisables a toutes les formes de la maladie d’Alzheimer ? Sans aucun doute selon le Dr Lambert : « Si l’immunothérapie doit être efficace, elle devrait fonctionner pour les formes monogéniques. C’est donc une affaire à suivre afin de pouvoir dire que l’hypothèse de la cascade amyloïde est valide pour les formes monogéniques de la maladie ».

Profitons du domaine de spécialité du Dr Lambert, la génétique, pour illustrer ce propos. « Même pour les formes communes de la maladie d’Alzheimer, la composante génétique de la pathologie est très importante (60% à 80% estimée dans les études de jumeaux) mais dans ce cas, on parle de facteurs de risque. On en connait actuellement 76 facteurs de risque. On peut donc supposer que ces peptides amyloïdes jouent un rôle dans les formes communes de la maladie. D’ailleurs, de nombreuses données biologiques et cliniques semblent l’indiquer. Cependant, le métabolisme d’une protéine sert souvent à contrôler ses fonctions physiologiques et on connait très mal les fonctions physiologiques de l’APP dans le cerveau. Il n’est pas exclu que c’est un dérèglement de la fonction de la protéine précurseur amyloïde (APP) qui puisse être impliquée dans la maladie, plutôt qu’une toxicité des peptides amyloïdes par eux même. La génétique nous apprend également qu’il existe de nombreux autres processus pathophysiologiques potentiels n’impliquant pas directement l’APP et les peptides amyloïdes, mais que c’est la convergence de ces processus au mauvais endroit qui conduirait au développement de la maladie ».

En savoir plus : “Maladie d’Alzheimer : des variations génétiques rares augmentent de façon importante le risque de développer la pathologie”

Pour le Dr Lambert, il est très probable que l’immunothérapie ne sera qu’un outil thérapeutique parmi d’autres, efficace pour un nombre limité de patients en fonction des processus pathophysiologiques mis en jeu.

Maladie d’Alzheimer : accélérer la recherche

La recherche fondamentale est encore plus que jamais nécessaire pour comprendre le cerveau et les maladies qui la touchent. A l’échelle d’autres maladies tels que les cancers, la recherche sur la MA est récente et est directement impactée par l’évolution des critères cliniques pour diagnostiquer la maladie d’Alzheimer, critères qui sont de plus en plus biologiques. Cela pose des questions importantes également quant à la précocité d’un diagnostic chez des personnes asymptomatiques. « Le message final est toutefois optimiste, la recherche avance réellement et même si ce qui est proposé, reste encore largement insuffisant, il existe de vrais espoirs. Il serait néanmoins temps que nos instances politiques prennent la mesure de ce qui nous attend avec plus de 2 millions de patients attendus en 2050 rien qu’en France. Actuellement, le nombre de nouveaux patients diagnostiqués de MA chaque année est pratiquement égal à celui du nombre de personnes diagnostiquées avec un cancer. Pourtant l’effort de recherche en France et en Europe est 10 fois moins important pour cette maladie neurodégénératives et ses syndromes apparentées » termine Jean-Charles Lambert.

(1) Les anticorps monoclonaux sont des anticorps obtenus en laboratoire par des cellules en culture.
(2) Le principe de l’immunothérapie passive est de renforcer la réponse immunitaire déjà présente en utilisant des substances fabriquées en laboratoire pour agir à la manière de certaines parties du système immunitaire et ainsi attaquer des cellules spécifiques.
(3) L’hypothèse de la cascade amyloïde est la théorie, formulée initialement par JA Hardy et GA Higgins en 1992, selon laquelle la maladie d’Alzheimer est causée par la présence de plaques amyloïdes dans le cerveau. Elle sert de base au développement de médicaments à l’utilité controversée qui ont pour objectif de réduire ces plaques, indépendamment d’une amélioration éventuelle de l’état cognitif des patients. Depuis des années, des experts ont mis en avant d’autres éléments qui ne vont pas dans le sens de l’hypothèse amyloïde.
(4) Les maladies monogéniques résultent d’une mutation qui affecte un seul gène.