La tuberculose
Près de 100 ans après la découverte du BCG par Albert Calmette et Camille Guérin à l’Institut Pasteur de Lille, des chercheurs à l’Institut Pasteur de Lille (INSERM, CNRS, Université de Lille) ont procédé, en mars 2018, à l’ouverture des tubes contenant les souches originelles du BCG (Bacille Bilié de Calmette et Guérin) pour en séquencer le génome. Ces travaux réalisés pour la première fois de l’histoire serviront à enrichir les connaissances pour développer des traitements plus efficaces contre la tuberculose.
Les souches originelles du BCG, conservées au musée de l’Institut Pasteur de Lille, correspondent à différentes étapes de cultures ayant mené au développement du vaccin antituberculeux à partir d’une souche bovine virulente de départ en 1921. Elles représentent donc une opportunité unique pour identifier les mutations qui ont amené aux premières étapes d’atténuation de la bactérie et qui ont entrainé la diminution de sa virulence, tout en conférant un pouvoir immunisant vis-à-vis de la maladie.

Les travaux de recherche à l’Institut Pasteur de Lille
Développement de traitements anti-tuberculeux innovants
Les équipes d’Alain Baulard et de Nicolas Willand (Centre d’Infection et d’Immunité de Lille et Inserm U1177, Drug Discovery Center) ont inventé un concept révolutionnaire de médicament antituberculeux. Ils ont développé une molécule qui reprogramme la physiologie du bacille tuberculeux afin de le rendre ultrasensible à l’éthionamide, un des antibiotiques utilisés dans le traitement de la tuberculose. Plus important encore, cette approche fonctionne également sur des bacilles résistants à l’éthionamide. Ces recherches de longue haleine publiées dans plusieurs revues prestigieuses telles que Nature Medicine en 2009, Science en 2017 et Science Translational Medicine en 2022 ont donné naissance au médicament Alpibectir qui après avoir montré son innocuité sur volontaires sains vient de terminer les premiers essais sur patients atteint de tuberculose. Les résultats sont attendus pour la fin 2024.
L’équipe du Dr Ruben Hartkoorn du Centre d’Infection et d’Immunité de Lille (CIIL) en collaboration étroite avec celle du Pr Nicolas Willand et du Dr Baptiste Villemagne (Inserm U1177, Drug Discovery Center) ont entrepris, de proposer de nouvelles alternatives thérapeutiques. Leur stratégie a démarré par le criblage phénotypique à grande échelle, d’une banque de molécules originales et conçues pour mimer les molécules naturelles. La sélection de touches, suivie de l’optimisation d’une famille chimique appelée TriSLa a permis d’identifier de puissants composés antituberculeux efficaces contre les souches résistantes. Cette famille de molécules cible une enzyme bactérienne impliquée dans la chaine respiratoire et encore peu étudiée et non présente chez l’homme. En collaboration avec l’équipe du Dr Laurent Kremer (UMR 9004 Université de Montpellier), l’efficacité de cette nouvelle famille d’antibiotiques a été démontrée dans un modèle préclinique de tuberculose utilisant des poissons zèbre infectés. Ces résultats publiés dans la revue Journal of Medicinal Chemistry en 2022 ouvrent des perspectives prometteuses dans le développement d’une nouvelle thérapie optimisée pour le traitement de la tuberculose, notamment des formes résistantes.
Développement de diagnostics moléculaires de nouvelle génération
Le groupe de recherche du Dr Philip Supply, œuvrant aussi au CIIL, conduit ses recherches sur la génomique et l’évolution moléculaire du pathogène, depuis son émergence originelle jusqu’au développement des antibiorésistances au cours de l’époque contemporaine. Sur ces bases et en partenariat avec la société Genoscreen – une biotech implantée sur le campus de l’Institut -, le chercheur a d’abord développé et standardisé sous forme de kits une approche de génotypage puissante pour le traçage moléculaire des souches de M. tuberculosis, à partir de l’identification de marqueurs génétiques appelés MIRU-VNTR. Cette technologie a été utilisée par les institutions internationales de santé publique (dont les centre de contrôles des maladies (CDC) européen et américain) pour la surveillance épidémiologique de la tuberculose pendant plus d’une décennie.
Cette approche a été ensuite complétée par le séquençage du génome entier (WGS) pour identifier les mécanismes d’adaptation évolutive et de diffusion du bacille, y compris sous forme antibiorésistante. Les chercheurs ont ainsi pu identifier plusieurs branches évolutives ancestrales du pathogène, aux propriétés biologiques exceptionnelles en Afrique de l’Est. L’étude de souches obtenues par évolution spontanée ou expérimentale a mené à l’identification de mécanismes génétiques ayant accru la virulence et la persistance infectieuse au cours de l’évolution du bacille, représentant de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles. Les chercheurs ont aussi pu retracer l’origine et les facteurs impliqués dans la propagation de clones épidémiques multi-résistants majeurs en Eurasie et en Afrique australe, dont certains échappent aux diagnostics standards approuvés par l’OMS.
Afin de répondre à ce problème, un nouveau test de diagnostic rapide, appelé Deeplex®-MycTB a été développé par Genoscreen avec la collaboration du Dr Supply, à partir de données de séquençage de plus de 30,000 génomes de souches de M. tuberculosis. Basé sur le séquençage de nouvelle génération, ce test permet de prédire la résistance à 15 antituberculeux simultanément, directement à partir d’échantillon clinique sans culture. Deux larges essais de diagnostic clinique, conduits avec des centres en Afrique, en Eurasie et en Inde avec les kits produits par Genoscreen, ont révélé des résultats dépassant les cibles de performances préétablies par l’OMS, pour l’ensemble des antibiotiques évalués. Ces performances inégalées par d’autres tests ont conduit à l’approbation de ce diagnostic par l’OMS en 2023, puis à son intégration dans les lignes directrices internationales de l’organisation en 2024. Ce kit est déjà utilisé dans plus de 30 pays.
Un autre test a été développé par GenoScreen avec le concours du chercheur pour l’identification et la détection sans culture d’antibiorésistance de Mycobacterium leprae, incultivable en milieu synthétique, et encore à l’origine de plusieurs centaines de milliers de cas de lèpre chaque année à travers le monde.
Outre la collaboration industrielle avec GenoScreen, ces travaux impliquent de multiples collaborations avec des équipes et organisations nationales (Institut Pasteur de Paris, IPBS à Toulouse) et internationales, dont l’OMS, le consortium CRyPTIC mené par l’Université d’Oxford, la Fondation for Innovative New Diagnostics (Genève), et le centre de recherche de Borstel (Allemagne). Ces résultats ont fait l’objet de 20 publications dans les revues des séries Nature, Lancet ou le New England Journal of Medicine sur la dernière décennie.
Mise au point d’un nouvel outil d’immunodétection d’infection silencieuse
Le groupe de recherche dirigé par la Dr Nathalie Mielcarek du Centre d’Infection et d’Immunité de Lille se concentre sur la caractérisation de l’antigène HBHA de Mycobacterium tuberculosis. Cette adhésine, découverte par le groupe, est une protéine méthylée associée à la surface et est impliquée dans la dissémination extra-pulmonaire. Le groupe du Dr Locht, en collaboration avec le groupe de F. Mascart à l’Université Libre de Bruxelles en Belgique, a établi sa valeur pour le diagnostic de l’infection latente à M. tuberculosis. Le développement de ce nouvel outil diagnostic se poursuit actuellement avec un partenaire avec Sciensano, l’Institut de Santé Publique en Belgique, faisant également partie du réseau international des Instituts Pasteur.
Recherche de nouvelles approches vaccinales
Avec le consortium européen NoseVac, les groupes du Dr Nathalie Mielcarek et du Dr Jean-Claude Sirard développent des approches de vaccination nasale sur base d’ARN messager, potentiellement transposables à la vaccination anti-tuberculose.
Le groupe du Dr Camille Locht travaille à la mise au point d’un vaccin de rappel qui permettrait de prolonger l’efficacité de la primo-vaccination avec le BCG. En effet, le BCG protège efficacement les jeunes enfants contre la tuberculose disséminée mais son efficacité est réduite pour protéger les adultes contre la tuberculose pulmonaire. Les chercheurs travaillent sur le développement d’un vaccin basé sur une plateforme biotechnologique originale, issue d’une souche génétiquement atténuée du germe de la coqueluche et initialement développée comme nouveau vaccin nasal contre cette dernière maladie. Dans le cadre d’une vaste collaboration internationale académique et privée, les chercheurs montrent dans un essai clinique de phase 2, l’efficacité et la sûreté chez l’adulte de ce nouveau vaccin contre la coqueluche. Ce travail, publié dans la prestigieuse revue The Lancet, représente une avancée majeure dans le domaine.
Les équipes de recherche
Equipe « « Recherche sur les Mycobactéries et les Bordetelles »
Centre d’Infection et d’Immunité de Lille
INSERM U1019 – CNRS UMR9017-Université de Lille -CHU Lille-Institut Pasteur de Lille
Dr Ruben Hartkoorn
Equipe « « Biologie Chimique des Antibiotiques»
Centre d’Infection et d’Immunité de Lille
INSERM U1019 – CNRS UMR9017-Université de Lille -CHU Lille-Institut Pasteur de Lille
Dr Arnaud Machelart et Priscille Brodin
Equipe « « Chémogénomique des mycobactéries intracellulaires »
Centre d’Infection et d’Immunité de Lille
INSERM U1019 – CNRS UMR9017-Université de Lille -CHU Lille-Institut Pasteur de Lille
Equipe M2SV – Médicaments et Molécules pour agir sur les systèmes vivants
INSERM U1177 – Université de Lille -CHU Lille-Institut Pasteur de Lille
« L’Alpibectir, aujourd’hui en test en Afrique du Sud, est soutenu par les laboratoires Bioversys AG et GSK. Il porte tous les espoirs des nombreux chercheurs qui ont contribué à son développement, et des innombrables patients atteints de tuberculose résistante qui attendent de nouvelles options thérapeutiques » poursuit Nicolas Willand.
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