Dans le monde, l’antibiorésistance est l’une des sources principales de mortalité. C’est ce que révèle une étude parue le 16 septembre 2024 dans The Lancet, décryptée par le Pr Benoit Deprez, Directeur du Drug Discovery Center à l’Institut Pasteur de Lille.

« Cette étude, publiée dans un journal de très grande renommée, est une rétrospective sur la période 1990 à 2021. Elle réunit 30 ans de données dans 204 pays, sur les infections liées à des bactéries. 520 millions de données individuelles ont été collectées. Sur l’ensemble des lieux inclus dans l’étude, qui sont des sites hospitaliers ou des centres de soins, cela représente un cumul de 20 000 années de suivi. Il n’y a pas eu d’étude dans le passé qui soit aussi complète et aussi imposante. 22 agents pathogènes ont été suivis, regroupant des bactéries Gram positif et négatif, ainsi que des mycobactéries responsables de la tuberculose, en associant ces espèces bactériennes systématiquement aux traitements qui ont été utilisés pour soigner des malades pouvant être atteints d’infections localisées ou généralisées (septicémie).

Des résultats très importants ont été tirés de cette très grande étude, tels que le nombre de morts par septicémie, la représentation des pathogènes dans chacune des maladies et dans les décès survenus, et le pourcentage de bactéries résistantes pour chaque pathogène identifié. »

 

Une projection jusqu’à 2050 avec 3 scénarios

« Un point très intéressant réside dans le fait que les évolutions qui ont été observées de 1990 à 2021 ont été extrapolées jusqu’à 2050. Les tendances sont tellement fortes que l’on peut se permettre une extrapolation sur une durée de 25 ans avec 3 scénarios : un premier scénario qui conserve les circonstances actuelles, un second dans lequel on améliore la prise en charge des patients, et enfin un scénario dans lequel arrivent sur le marché de nouveaux antibiotiques pour traiter les bactéries résistantes, notamment les bactéries à Gram négatif.

En 2021, 1,4 million de décès ont été causés par une infection bactérienne. Cette même année il a été recensé 4,7 millions de morts associés à la résistance aux antibiotiques, c’est à dire des décès survenant alors que le patient présentait une infection par une bactérie résistante aux antibiotiques. Dans ces cas, les patients présentaient plusieurs pathologies et il est impossible d’isoler l’infection comme cause de leur décès. 

Sur la période 90 à 2021, d’un point de vue de la santé publique, les décès et les infections graves liées aux bactéries résistantes chez les enfants de moins de 5 ans ont baissé de 50%.  Ceci est principalement lié à un meilleur accès à l’eau potable, à une meilleure hygiène et vaccination dès l’enfance, notamment dans les pays comme l’Afrique et l’Afrique subsaharienne, l’Amérique du Sud et l’Asie. Cette meilleure protection infantile n’est pas liée aux antibiotiques mais à une meilleure prévention.

Parmi les espèces figurant dans l’étude, le staphylocoque doré résistant à la méticilline arrive en tête, avec une multiplication par 2 des décès associés ou attribués à cette bactérie, suivi des bactéries à Gram négatif.

Dans le scénario où l’on garde le statu quo, la prévision en 2050 est de 2 millions de morts attribuables à la résistance aux antibiotiques, et 8 millions associés à la multirésistance, c’est à dire un quasi doublement des chiffres de 2021. Les 2/3 de ces décès seront des personnes âgées de plus de 70 ans, dans les pays où les populations avancent en âge, dont la France.

Dans le scénario d’une meilleure prise en charge, sur une période entre 2025 et 2050, 92 millions de morts pourraient être évités.

Enfin dans le cas où l’on dispose de nouveaux médicaments pour traiter les bactéries, en priorité les grammes négatifs et la tuberculose, on estime que 11 millions de morts seraient évités, surtout hors Afrique subsaharienne, et principalement donc dans les pays classés comme les pays à haut revenu. »

benoit deprez institut pasteur de lille

Le Professeur Benoît Deprez est Pharmacien, docteur en chimie thérapeutique et professeur des Universités. Benoit Deprez a été directeur scientifique de l’Institut Pasteur de Lille de 2019 à 2022 puis conseiller scientifique. Il a fondé et dirige actuellement l’unité derecherche « Médicaments et molécules pour les systèmes vivants » (Pasteur Lille, Inserm, Université de Lille). Il est également fondateur et conseiller scientifique de la société APTEEUS, lauréat du Concours Mondial d’Innovation en 2017, catégorie « médecine individualisée ». Membre correspondant de l’Académie nationale de Pharmacie depuis 2006, il a été nommé membre titulaire, sur décret présidentiel, en juin 2022. Cette haute distinction marque la reconnaissance par ses pairs de son expertise dans le domaine de l’innovation pharmaceutique.

L’Institut Pasteur de Lille fortement impliqué dans la lutte contre l’antibiorésistance

Comme cette étude le démontre, l’accroissement de la résistance contribue à l’augmentation de la mortalité liée aux infections. Mais un autre facteur important est démographique : nous sommes plus nombreux sur la Terre, mais aussi plus vieux. Dans ces circonstances qui semblent favorables aux humains, on ne doit plus négliger les phénomènes liés au vieillissement, notamment l’immunosénescence.  On comprend donc que l’Institut Pasteur de Lille, qui s’intéresse principalement aux maladies liées au vieillissement, et qui étudie les liens entre l’infection, l’immunité et les infections bactériennes, soit autant concerné par le sujet de l’antibiorésistance.

On connait déjà l’impact du mésusage des antibiotiques, à la fois en médecine humaine et vétérinaire, qui expose les populations et augmente la résistance. Il nous faut trouver de nouveaux antibiotiques. Sur cet axe, l’Institut Pasteur de Lille, grâce à son Drug Discovery Center, est extrêmement bien positionné, non seulement dans la découverte des mécanismes que l’on pourrait utiliser pour tuer des bactéries de manière innovante, mais aussi de la façon de trouver des molécules qui fonctionnent sur ces mécanismes.

Dans le cas de la tuberculose, l’Institut Pasteur de Lille a découvert une nouvelle famille de médicament et a développé, au sein de cette famille, en collaboration avec Bioversys et GSK, un membre de cette famille appelé alpibectir qui est actuellement en phase II d’essai clinique dans la tuberculose pulmonaire. Cette molécule va également être développée pour la tuberculose méningée, forme de la maladie contre laquelle l’arsenal thérapeutique est actuellement très faible.

Concernant les bactéries résistantes, tuberculose et bactéries Gram négatif, les équipes des Drs Alain BAULARD, Ruben HARTKOORN, Marion FLIPO, Baptiste VILLEMAGNE et Nicolas WILLAND, développent des stratégies moléculaires pour identifier des antibiotiques nouveaux par leur mode d’action mais aussi restaurer l’activité des anciens antibiotiques.

Lire l’étude complète dans The Lancet (en anglais) : https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(24)01867-1/fulltext